Publié par : avenuecolombie | 15 février 2012

Terra Libra, un distributeur engagé

Basé à Rennes, Terra Libra est une plate-forme de distribution en épicerie et boissons issues aussi bien du commerce équitable comme le café Mut Vitz (Mexique) ou la cachaça Camponeses (Brésil), deux produits importés directement, que du bio local issu de petites entreprises. L’objectif est de proposer des produits à forte valeur sociale et environnementale en direction principalement du Grand Ouest.

Comme d’autres grossistes, Terra Libra fait appel à un « super-grossiste » pour compléter sa gamme et ainsi mieux répondre aux besoins de sa clientèle ; en l’occurrence le super-grossiste est Rapunzel. Or Rapunzel fait partie de ces grands producteurs qui utilisaient et persistent contre vents et marées à utiliser l’huile de palme bio issue de Colombie (biscuits, pâtes à tartiner, aides culinaires, etc.).

Suite à nos échanges, Terra Libra a demandé des explications à Rapunzel qui a sorti les mêmes arguments que Biocoop et d’autres qui ont du mal à faire leur deuil de l’huile de palme (pour mémoire Rapunzel avait aussi envoyé un émissaire sur place, pour la forme et pas vraiment téméraire d’ailleurs). Pas convaincus, Terra Libra a décidé de bannir l’huile de palme de son offre. Avant d’en savoir plus, faisons connaissance avec Terra Libra.

terra libra

Pouvez-vous nous raconter votre histoire ?
Terra Libra a été créée en 2005 pour vendre le café des zapatistes du Chiapas (Mexique) afin de faire connaître leur lutte. C’est une initiative de militants du commerce équitable, réunis dans l’association EperanZA. Dès le départ nous sommes partis sur l’idée de promouvoir la relocalisation de l’économie et d’appuyer les coopératives de commerce équitable qui émanent vraiment des mouvements sociaux au Sud.

Comment se fait-il que vous n’ayez pas opté pour un statut de l’ESS ?
Dans une SCOP la majorité du capital doit être détenu par les salariés ce qui n’était pas possible pour nous, et les militants d’EsperanZA n’avaient pas vocation à devenir salariés. Nous avons donc choisi d’être une SARL mais avec un management coopératif. Et encore aujourd’hui, la plupart des membres d’EspenZA sont associés dans le capital de l’entreprise et sont associés aux décisions concernant les orientations de Terra Libra. (on trouvera sur la page « Notre histoire » un lien vers les statuts et les comptes 2011). Progressivement nous avons sollicité les acteurs de la finance solidaire comme Garrigue, la Nef, le Crédit Coopératif et 3 Cigales de Rennes.

Vous avez vos propres filières que vous connaissez bien depuis maintenant des années. Pour les filières de vos partenaires, nous savons que vous poussez la curiosité jusqu’à visiter les fournisseurs de vos partenaires non pas pour « vérifier » mais vraiment pour voir de vos yeux de quoi il retourne. Est-ce une démarche systématique ou limitée par votre disponibilité et est-ce que les membres de EsperanZA vous assistent dans cette tâche ?
C’est une démarche qui nous paraît aller de soi lorsqu’on promeut une économie équitable. Nous travaillons avec d’autres structures importatrices du réseau Minga, comme Saldac ou Andines, pour lesquelles nous sommes distributeurs sur le Grand Ouest. Ce n’est pas parce que nous sommes « seulement » distributeurs que nous n’avons pas le devoir d’observer, de comprendre, pour pouvoir diffuser les idées qui sous-tendent l’approche de filière que nous promouvons avec nos partenaires.
Cette curiosité, nous la menons de manière bénévole et sur nos deniers personnels, car Terra Libra n’a pas encore les moyens de financer ce genre de voyage d’étude…
Un membre d’EsperanZA était ainsi parti au début de l’aventure Terra Libra rencontrer les membres de la COPAVI, la coopérative du Mouvement des Sans Terre avec laquelle nous travaillons. Son aide et ses observations nous avaient été précieuses.

Quand vous faites appel à un grand fournisseur aussi hétéroclite que Rapunzel, avec des produits transformés complexes dont les ingrédients peuvent avoir des provenance très variées, comment abordez-vous le problème de la confiance ?
Rapunzel a été – et reste – pour nous une solution à un moment où nous ne trouvions pas d’alternative pour avoir un catalogue complet à proposer aux clients. Dès le départ, nous les avons abordé sur la dimension équitable, en étudiant précisément leur marque « Main dans la Main », un genre de certification équitable maison.
De manière générale, nous n’avons pas eu toute l’information souhaitée sur cette marque « Main dans la Main », qui est un peu un « Max Havelaar + ». Mais nous avons pris la position de se dire que c’était mieux que rien.
En fait, avec un fournisseur comme Rapunzel, nous avions d’autant plus l’exigence d’expliquer que notre catalogue n’était pas uniforme sous le prétexte qu’il soit « équitable ». Qu’un label ne remplacera jamais l’information que le citoyen – consommateur doit exiger sur chaque filière économique. Et chez nous, la différence est grande entre le chocolat de chez Saldac, le café des communautés zapatistes, et la pâte à tartiner de chez Rapunzel. C’est un discours que nous avons toujours eu.

Tout le monde a le droit de se tromper, Rapunzel comme d’autres grands transformateurs bio ou/et équitable, mais comment interprétez-vous cette obstination à défendre cette huile de palme malgré toutes les évidences fournies à propos de la nature de son producteur ?
Ils sont malheureusement rentrés dans le monde du bio-business, avec des considérations commerciales, de parts de marché, qui les empêchent de faire marche arrière.
Mais comme chez nous, je crois que tous leurs produits ne se valent pas, et il leur reste des produits venant de filières économiques plus intéressantes.

Comment avez-vous annoncé votre décision de retirer les produits contenant de l’huile de palme bio à vos clients et quelle a été leur réaction ?
Nous l’avons annoncé en novembre dernier, au moment de refaire notre catalogue, avec une fiche détaillée des agissements de la société Daabon et du commerce de l’huile de palme de Colombie ; des informations fournies en très grande partie par nos amis d’Avenue Colombie.
La réaction a été plutôt très bonne : si certains étaient déçus de ne plus avoir certains produits, ils ont vite compris qu’il y avait des choses plus importantes dans la vie…
Même, et c’est plutôt encourageant pour la suite, certains commerçants nous avouaient, gênés, qu’ils avaient encore des produits à l’huile de palme.

Avez-vous l’impression que vos clients ont assimilé la « leçon » et seront plus critiques dans leurs choix futurs ou au contraire est-ce qu’ils ne vont pas se reposer encore plus sur la confiance qu’ils ont en vous ou d’autres fournisseurs ? C’est l’éternel problème du détaillant qui n’a pas le temps de réfléchir et du client qui dit la même chose.
Evidemment, on ne change pas les mentalités en un coup de baguette magique, et économiquement, l’huile de palme est un faiseur de prix abordables… Pour des commerçants qui galèrent à se tirer un revenu, c’est parfois très compliqué d’évacuer des produits qui leur permettent de vivre, même si ils sont conscients de leur nocivité sociale.
Nous avons toujours été clairs vis-à-vis de nos clients: il y a des filières que nous soutenons plus que d’autres, à chacun de se faire son propre avis. Nous croyons beaucoup en la responsabilité et en l’analyse de chaque acteur. Après, certains se voilent la face et se disent que comme ils sont dans le bio, « c’est déjà pas mal »….

Conscient que le label bio n’intègre pas les facteurs sociaux, Ecocert agite son super label ESR comme la réponse à ce genre de situation, est-ce que ça vous paraît la panacée ?
Le monde de la certification est devenu un business dangereux et totalement hypocrite. A la place de règlementations sur le droit du travail, on multiplie les « labels » sociaux et environnementaux.
Et ça ne répond pas à des questions cruciales : qui décide de ce qu’est l’équité? N’y a-t-il pas des différences culturelles dans la définition de ce qu’est l’équité?

Et quid d’un système d’examen participatif comme celui de Minga ?
Cela nous paraît être l’approche la plus juste : au lieu de garantir, il s’agit d’évaluer une filière économique. Au lieu de diviser le monde en gentils et méchants, cela permet d’avoir une approche plus juste, en discernant ce qu’il y a d’équitable dans une filière, et, éventuellement, ce qui est à améliorer. Chose impossible à faire avec un label, où c’est tout noir ou tout blanc.

Comment voyez-vous l’avenir de la distribution de produits comme ceux que vous proposez face à la concurrence des grosses centrales d’achat ? Quels changements à l’oeuvre percevez-vous ?
Je crois que la prochaine grosse rupture aura lieu au sein de l’agriculture biologique, entre l’agriculture paysanne et le bio-business. C’est une rupture qui nous paraît inévitable et indispensable. Je crois que dans la recherche de « local » qui est à l’oeuvre aujourd’hui, c’est cette notion de proximité et de taille humaine qui est recherchée.
Le défi sera alors que les parties prenantes de l’agriculture paysanne ne s’offrent pas aux tentations de la certification.

En conclusion, qu’est-ce que toute cette histoire vous aura appris ?
Il faut toujours être vigilant, et être à l’écoute de tous les observateurs. Nous n’aimerions pas avoir un jour les mêmes réactions de mépris que certains. Il faut toujours être prêt à remettre en question ses pratiques, c’est la meilleure façon de rechercher l’équité.
Et, encore et toujours, bien préciser à nos interlocuteurs que toute notre gamme ne se vaut pas en matière d’équité, de promotion du travail artisanal ou de l’agriculture paysanne.


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